ego à nu avec Marie-Sophie Obama
- juin 01, 2020
- by
- Pauline
Cette grande et jolie brune se nomme Marie-Sophie Obama. Elle connaît Tony Parker depuis 25 ans car ils ont foulé les salles de sport de l’Insep ensemble. En 2017, il lui a confié les rênes du LDLC Asvel féminin, qu’elle a conduit au titre suprême. Marie-Sophie Obama se dévoile sans détour, considère son manque de confiance en elle comme un puissant moteur et défend les femmes via son association, les Lumineuses.
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Quels sont les souvenirs qui vous remontent des belles heures de votre adolescence, à l’Insep ?
M-S O. : Je suis arrivée à l’Insep à l’âge de 16 ans, ce qui est plutôt tardif. En fait, je ne devais pas intégrer cette structure, car j’étais déjà en équipe de France et passée par le centre de formation du club de Mirande. Mais le club a fait faillite et j’ai rejoint l’Insep. C’était très dépaysant pour une gamine issue d’un village du Gers de moins de 3000 habitants. Le déracinement a été compliqué, mais il m’a permis de grandir. Bien sûr, on est très cocooné, mais on est aussi livré à soi-même et confronté de plein fouet aux exigences du très haut niveau. Cela a forgé une partie de mon tempérament, de mon exigence.
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C’est aussi là que vous avez rencontré Tony Parker…
M-S O. : Oui ! Il avait 15 ans quand il a débarqué et nous sommes très vite devenus amis. C’était un adolescent très focus sur sa carrière à venir, très concentré sur sa performance, déjà tourné à 100% vers les États-Unis et la NBA. Pour beaucoup d’autres sportifs, il était perçu comme un extra-terrestre.
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À quel âge avez-vous commencé le basket ?
M-S O. : À 10ans je crois, après avoir essayé plein d’autres sports : la gym, le judo, l’athlétisme, le pentathlon, le kayak… Le basket est vite devenu une passion ; ça collait bien avec mon physique. À l’époque, il y avait peu de blacks dans le Gers ; j’ai eu le sentiment de trouver ma place. Ce sport m’a apaisée.
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Vous avez eu votre premier enfant à 24 ans, c’est très jeune pour une sportive en pleine carrière…
M-S O. : Oui et cela m’a valu de recommencer le basket au bas de l’échelle dans le club de Calais… jusqu’à la saison 2006-2007. Mais je ne regrette pas, évidemment !
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Ce numéro d’Ego a choisi la thématique du défi comme fil rouge. C’est quoi votre grand défi à vous ?
M-S O. : Au risque de surprendre, ce n’est pas – et ce ne sera plus – un défi sportif. Le grand défi que je poursuis depuis l’enfance, c’est une quête de plus grande estime personnelle et de meilleure confiance en moi. Petite, je manquais cruellement d’assurance et cela ne s’est pas arrangé avec le sport de haut niveau. Cette question de confiance est le fil rouge de ma vie, mais je dirais que cela m’a permis d’évoluer positivement. Au fil des années, c’est devenu davantage un moteur qu’un frein… mais pas sans douleurs !
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Aujourd’hui, vous dirigez, vous managez, vous contrôlez. Est-ce difficile d’être une femme à la tête d’une équipe de femmes ?
M-S O. : En fait, je n’ai jamais coaché autre chose que des filles. Je ne peux donc pas comparer avec un management masculin, mais je constate – sans tomber dans le caricatural – que les équipes de filles développent des egos plus effacés et sont tournées vers la réussite collective davantage qu’individuelle. La prise en compte de la sensibilité (ou des sensibilités) fait partie intégrante d’un management auprès de filles. Il faut surveiller le moindre départ de feu, surtout les aspects larvés d’un problème, et régler les choses rapidement. Ensuite, si tout cela est maîtrisé, il y a un sens du devoir exprimé par chacune qui fait que ça roule.
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Être une femme dans ce milieu sportif est-il un atout ou un désavantage ?
M-S O. : Je ne sais pas car je n’ai jamais raisonné de la sorte. Je n’ai jamais été sensible à tout ça: être une nana, black de surcroît, dans ce monde très masculin. Je suis pourtant sensible à beaucoup de choses, mais pas à ça! Ceux qui me prennent parfois pour une potiche, je les vois venir avec leurs gros sabots, j’adopte alors ma stratégie préférée, celle de la plante verte. Je les laisse parler, se dévoiler, s’enferrer parfois. Et c’est là que j’attaque ! Mais il est certain que cela requiert davantage d’énergie.
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Tout comme de vendre du basket féminin, j’imagine…
M-S O. : Oui et ce n’est rien de le dire. Nous n’avons évidemment pas la même légitimité que l’équipe masculine et que tous les sports d’hommes en général. Mais cela oblige à avoir un projet riche, nourri, bien ficelé. Et une fois que les gens adhèrent, le lien est très fort.
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Vous êtes aussi la créatrice de l’association Les Lumineuses et du festival Lyon gagne avec ses femmes, dont la dernière édition s’est tenue en novembre 2019. Un acte féministe ?
M-S O. : L’idée des Lumineuses remonte à 2017. J’étais en représentation chez notre équipementier sportif en Italie, où j’ai croisé l’entraîneuse de l’équipe de volley féminine de Mulhouse, alors championne de France. Nous avons beaucoup discuté et sa posture assez pessimiste quant aux opportunités du sport féminin m’a frappée. J’ai perçu que nous vivions toute une même réalité et je me suis dit qu’il fallait s’unir pour être plus fortes. Mon idée a tout de suite été de nous positionner au-delà du sport et de m’adresser à toutes les strates de la cause féminine. Je ne voulais pas d’une posture victimaire, mais au contraire célébrer tous les succès des femmes. J’ai immédiatement été soutenue par Nathalie Pradines, actionnaire du club et co-créatrice avec moi de l’association, ainsi que du festival. Nous sommes actuellement en train de préparer l’édition 2020, programmée en novembre, car cette structure fait du bien. Elle sert de caisse de résonnance, de vecteur de pro- motion des réussites et des performances de toutes les femmes.
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Êtes-vous une grande féministe ?
M-S O. : J’ai sur mon bureau une photo de Marylin Monroe, avec cette citation : « Une femme qui cherche à être l’égale de l’homme manque d’ambition ». Cela résume tout ce que je pense. Je ne me pose pas dans une quête d’égalitarisme forcené. Nous devons tous assumer nos différences, car c’est l’équilibre entre les forces et les faiblesses de chacun qui fait avancer. Aujourd’hui, le terme de féminisme est un peu caricatural. Je me reconnais bien, en revanche, dans les postures de lutte des années 60 et du siècle des Lumières pour gagner l’égalité politique, économique, culturelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes.
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Propos recueillis par Nancy Furer
Photographie par le studio DMKF : Didier Michalet & Karen Firdmann